
Dire que la responsabilité sociétale des entreprises a émergé dans la lumière serait travestir la réalité. Les premières sociétés attentives aux questions sociales n’avaient ni manuel, ni label, ni stratégie de communication derrière leur démarche. Au XIXe siècle déjà, certains patrons s’écartaient des règles comptables pour répondre, parfois à contrecœur, aux attentes de leur époque, sous la pression des mouvements ouvriers ou de leurs propres convictions.
Pendant des décennies, ces pratiques pionnières ont avancé sous le radar. Les institutions n’ont reconnu leur existence qu’avec retard, se contentant souvent d’officialiser, sur le tard, des évolutions portées par des industriels audacieux, que la postérité a relégués dans l’ombre.
Plan de l'article
- Pourquoi la responsabilité sociétale des entreprises s’est imposée comme un enjeu majeur
- Aux origines de la RSE : racines philosophiques, sociales et économiques
- Qui sont les pionniers de la RSE et quelles ont été leurs contributions décisives ?
- L’évolution de la RSE : des premières initiatives aux défis contemporains
Pourquoi la responsabilité sociétale des entreprises s’est imposée comme un enjeu majeur
À l’aube du XXIe siècle, la pression grimpe d’un cran : consommateurs, salariés, investisseurs exigent des comptes sur l’impact des entreprises. L’engagement RSE s’affiche désormais en vitrine publique. Les scandales explosent, les réponses sociétales s’accélèrent, la stratégie s’élabore autrement. Impossible de discuter performance sans évoquer désormais la stratégie RSE au même niveau que la rentabilité ou le CA.
Adieu logique unique du profit : la notion de triple bottom line s’impose et les entreprises s’organisent autour de trois axes, économique, social, environnemental. Les seuls résultats financiers passent au second plan. Une nouvelle donne s’inscrit dans les tableaux de bord et oriente la politique de rétribution.
Dans les faits, cette évolution se concrétise ainsi :
- Les investisseurs institutionnels prennent en compte les critères ESG (environnement, social, gouvernance) dans leurs décisions.
- Les régulateurs rendent le reporting extra-financier obligatoire, obligeant à un effort de transparence inédit.
- Les consommateurs privilégient les entreprises RSE qu’ils jugent honnêtes dans leurs engagements.
Le développement durable s’inscrit comme nouvelle référence. Désormais, la performance intègre l’anticipation et le dialogue avec des exigences sociétales mouvantes, sous peine d’être disqualifiée par le marché et l’opinion.
Comprendre le concept RSE exige de revenir bien en amont des débats contemporains. Dès le XIXe siècle, la philanthropie patronale s’exprime à travers la création de cités ouvrières, d’écoles ou de caisses de solidarité. Certains industriels, encouragés par le socialisme utopique, s’emparent de la question du bien commun, traçant peu à peu la voie pour un modèle où l’usine n’est plus seulement un lieu de profit.
En parallèle, le mouvement coopératif et les sociétés mutualistes cherchent à bâtir une économie fondée sur la solidarité et la co-responsabilité. Aux États-Unis, le terme de social responsibility s’installe dans la réflexion dès le XXe siècle, appelant à freiner les dérives d’un pouvoir industriel débridé. Ces débats, nourris par la lente émergence d’un droit du travail, amorcent un glissement : on reconnaît à l’entreprise des obligations dépassant le cadre strict de la philanthropie individuelle.
Dans les années 1950, le tournant s’opère. Howard Bowen propose que le dirigeant endosse des obligations morales envers la société : l’entreprise n’est plus un îlot isolé, mais un acteur exposé aux attentes extérieures. La réflexion gagne l’académie et le management, jusqu’à devenir une question collective, débattue, plus seulement portée par quelques initiateurs isolés.
Qui sont les pionniers de la RSE et quelles ont été leurs contributions décisives ?
Ce sont quelques avant-gardistes qui font véritablement émerger la responsabilité sociale des entreprises comme sujet structurant. Howard Bowen marque la première rupture en affirmant que les chefs d’entreprise doivent intégrer le bien-être collectif à leurs calculs économiques. Cette idée, novatrice, repositionne la fonction dirigeante : elle ne sert plus uniquement les actionnaires, mais s’ouvre à l’ensemble des parties prenantes.
Archie B. Carroll apporte une grille de lecture précieuse : sa pyramide des responsabilités, économique, légale, éthique, philanthropique, évolue en guide pour toute stratégie RSE sérieuse. En reconnaissant la pluralité des attentes, Carroll invite les entreprises à penser leur impact sur plusieurs plans, et à arbitrer sans naïveté.
Dans les années 1980, R. Edward Freeman révolutionne la posture managériale avec la stakeholder theory. Son modèle élargit le cadre de la responsabilité : désormais, le conseil d’administration doit s’intéresser aux salariés, aux fournisseurs, aux territoires, bien au-delà du seul actionnaire.
Enfin, John Elkington formalise le concept de triple bottom line : chaque entreprise, et pas seulement quelques pionniers généreux, doit faire rimer le financier avec le social et l’environnemental. Sa vision inspire aujourd’hui les démarches de développement durable et le passage à une société plus juste, incitant davantage à agir pour le bien de tous.
L’évolution de la RSE : des premières initiatives aux défis contemporains
Le parcours de la responsabilité sociétale des entreprises se lit à travers les crises qui jalonnent le temps et l’évolution de la loi. Les années 1970-1980 sont marquées par des drames industriels, Seveso, Bhopal, qui rappellent le coût humain et écologique d’une gestion limitée à la rentabilité immédiate. Les attentes changent : le reporting extra-financier prend forme petit à petit. En 2001, la France inaugure la loi NRE, première règlementation imposant aux sociétés cotées de documenter et rendre publiques leurs initiatives sociales et environnementales.
Au niveau international, la parution de la norme ISO 26000 (2010) donne une nouvelle impulsion, poussant toutes les organisations vers l’adoption des critères ESG comme base du pilotage responsable, sans pour autant imposer une certification.
L’Union européenne accélère. La commission européenne harmonise les règles à travers la directive CSRD et le devoir de vigilance (CSDDD), puis encourage l’investissement socialement responsable. Le droit français emboîte le pas : lois Grenelle, puis loi Pacte qui entérine la notion de « raison d’être » et fait émerger la figure des entreprises à mission.
Plusieurs leviers structurent aujourd’hui le secteur :
- Les labels RSE tels que Lucie 26000 ou B Corp accroissent leur visibilité sur la scène nationale et internationale.
- Les agences de notation sociale et environnementale évaluent concrètement l’authenticité des engagements d’entreprise.
Les défis du moment sont clairs : fiabiliser le reporting, contrer le greenwashing, bâtir de vrais avantages concurrentiels durables, réduire les émissions de gaz à effet de serre. Plus question d’avancer à l’aveugle : la RSE se mesure, se vérifie, se met en débat. Et, à chaque avancée, elle oblige la direction à regarder droit devant, vers l’intérêt général et la solidité d’un modèle qui refuse de choisir entre prospérité économique et avenir du collectif.






























